Mettre en scène leur désirabilité : le nouveau défi des enseignes à l’ère des réseaux sociaux
Vu à Paris
A Paris, les restaurants qui ne permettent pas de réservations sont de plus en plus nombreux. Les adresses du groupe Big Mamma ont été les premières à instaurer cette pratique, reprise depuis par d’autres établissements comme le Bouillon Pigalle ou Holybelly pour son brunch, près du canal Saint-Martin. Le phénomène existait déjà, mais restait limité à une poignée d’enseignes parisiennes singulières comme L’Entrecôte ou Chartier. Il se généralise aujourd’hui au point de devenir une nouvelle manière de faire pour tous les restaurants très présents sur les réseaux sociaux, dotés d’une décoration thématisée très instagrammable, implantés dans les quartiers branchés des villes et imaginés pour séduire une population de trentenaires, souvent de passage, qui y voit un objectif à atteindre au même titre qu’un musée à visiter ou un lieu à découvrir. Le 18 février dernier, pour la première fois, un prix de la meilleure table non réservable a même été décerné lors du premier Word Restaurant Awards…
Qu’en penser ?
A l’origine motivée par des préoccupations économiques (pas de service de réservation, optimisation du nombre des couverts en ne bloquant pas de tables pour des clients qui ne viendront pas ou seront en retard), la pratique de la non réservation est devenue au fil du temps un marqueur de désirabilité pour les établissements qui trouvent là un moyen inédit de mettre en scène leur succès. La preuve que, dans le monde du commerce, toute décision restrictive ou contraignante peut toujours être présentée de façon positive si elle est accompagnée du bon storytelling… Conséquence : puisque l’établissement est manifestement désirable, personne parmi ceux qui attendent parfois plus d’une heure pour avoir une table ne penserait à se plaindre. Mieux encore : ceux-ci éprouveraient même une certaine fierté de se retrouver là, entre leurs pairs, avec lesquels ils entrent d’ailleurs assez spontanément en contact puisque tous animés par le même désir de pouvoir accéder à une table. Toutes les enseignes sont aujourd’hui animées par l’idée d’associer leur nom à un sentiment communautaire. Les voies pour y parvenir qui, traditionnellement, consistent à créer une sélection élitaire parmi leurs clients (création d’un « club », d’un « espace VIP », invitation à des événements exclusifs…) peuvent être complétées par une approche moins sélective consistant à mettre tout le monde à égalité devant la rareté comme l’illustre la démarche de ces restaurants et, déjà, de certaines marques de luxe (cf. Supreme dans l’Oeil du mois dernier). Qui aurait pu croire que l’attente devienne un jour une expérience à vivre et un signe d’appartenance ?
En bref
Le groupe hôtelier Hilton a imaginé une suite 100% vegan au sein de son établissement situé dans le quartier cinq étoiles de Bankside à Londres.
En bref
Le site de mode Zalando met désormais à la disposition de ses clients un algorithme capable de fournir des conseils vestimentaires sur la base de ce qu’ils ont déjà acheté ou ajouté à leur liste de souhaits.
En bref
Ikea travaille actuellement sur un projet de rideau capable de dépolluer nos intérieurs dont le tissu fonctionne sur le même principe que la photosynthèse. La marque pense pouvoir commercialiser son innovation, baptisée Gunrid, en 2020.
Un œil dans le rétro
Fin 2011 naissait une initiative inspirée par l’Inde qui reste toujours d’actualité pour ceux qui veulent assurer la vitalité des centres-villes…
A domicile
Le fait
Actuellement en test à Belleville, La Tournée est le nom d’un nouveau service de livraison « de mon commerçant à la maison » imaginé par « l’association pour une logistique urbaine durable » à partir d’une observation faite à Bombay. Deux fois par jour, les livreurs de La Tournée viennent collecter les achats effectués sur place ou par téléphone chez les commerçants du quartier membres de l’association pour les porter à leurs clients contre la somme modique de 2,40 euros par colis.
L’analyse
Révélatrice de l’envie des commerçants indépendants de proposer de nouveaux services à leurs clients, le principe de La Tournée l’est aussi de leur volonté d’apparaître comme acteurs de leur quartier. Prendre part à La Tournée c’est, bien sûr, l’opportunité pour eux de fidéliser leurs clients en répondant aux attentes de ceux qui n’ont pas le temps de faire leurs courses ou ont des difficultés pour se déplacer. C’est aussi pouvoir proposer un service de livraison comparable à celui des petites et moyennes surfaces de proximité développées par les grandes enseignes. C’est enfin venir rappeler que, par leur présence dans un quartier, les commerçants contribuent non seulement à sa vitalité, mais aussi à la création d’emplois. Une manière de rappeler que le commerce a toujours été au service du lien social ?