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Pour la spécialiste Laëtitia Vitaud, l’autonomie est la clé pour améliorer le bien-être au travail

02
oct
2020

(ETX Studio) – Le confinement a entraîné une profonde remise en question de notre rapport au travail. De la même manière que d’autres décident de quitter les grandes métropoles pour vivre plus près de la nature, certaines personnes envisagent par exemple une reconversion professionnelle pour exercer un emploi qui aurait davantage de « sens » pour elles. La spécialiste du futur du travail Laëtitia Vitaud, analyse cette mue et explore les pistes susceptibles d’améliorer le bien-être au travail. 

Ce questionnement sur l’utilité au travail renvoie directement  au concept des « bullshit jobs », né en 2013 sous la plume de l’anthropologue américain David Graeber, décédé début septembre. Concrètement, les « bullshit jobs »  désignent des emplois confortables, occupés au sein d’entreprises florissantes et généralement grassement rémunérés, mais dont les tâches s’avèrent souvent inutiles. Les raisons du succès de ce concept sociologique ? Beaucoup de personnes se sont retrouvées dans ces profils. 

Mais depuis ces dernières années, les « bullshit jobs » se font de plus en plus fréquents, y compris au sein de professions considérées comme les plus utiles à la société, souligne Laëtitia Vitaud, co-autrice de l’ouvrage « Welcome to the Jungle » et co-fondatrice du média Nouveau Départ.

Comment savoir si l’on exerce un « bullshit job » ?

On a un peu réduit le propos de David Graeber au cliché des cadres qui travaillent à la Défense et dont les jobs sont inutiles. En réalité, les « bullshit jobs » s’étendent dans bien plus de secteurs, car ils reposent essentiellement sur une question de ressenti. Si par exemple vous avez l’impression qu’une partie de votre travail n’apporte rien, voire qu’il y a une partie de mensonge dans ce que vous faites, ou encore que vous vendez des choses qui polluent la planète ou auxquelles vous ne croyez pas, dans ce cas, vous avez peut-être un « bullshit job ». 

Quelles sont les pratiques professionnelles dont il faudrait se méfier pour éviter de tomber dans le « bullshit job » ?

En réalité, le concept de « bullshit jobs » dépend moins de la mission ou de l’emploi que l’on occupe que des conditions dans lesquelles on l’exerce. Une entreprise régie par une mauvaise organisation dans laquelle on multiplie les « réunionnites » ou les tâches de « gratte-papier » peut par exemple collectionner les postes « bullshit ».

Ces tâches n’épargnent d’ailleurs plus les corps de métier jugés utiles à la société. Les soignants, ou encore les enseignants doivent par exemple remplir un certain nombre de documents administratifs et ont donc de moins en moins de temps pour exercer leur fonction première. 

Aujourd’hui, et plus particulièrement dans ce contexte sanitaire, quels sont les critères essentiels pour le bien-être au travail ? 

Avant, on signait un « contrat de labeur », c’est-à-dire que le boulot n’était pas forcément passionnant mais donnait accès à beaucoup de contreparties (congés, syndicat, bonne retraite, promesse de l’ascension sociale des générations d’après, etc.)

Mais depuis 30-40 ans, ces contreparties se désagrègent, on les perd petit à petit. Du coup, on remet en question la subordination, les tâches répétitives, mais aussi les conséquences néfastes d’une industrie sur l’environnement.

Tous ces critères entrent en ligne de compte dans la recherche du bien-être au travail et cela prend finalement plein de formes : il peut s’agir d’une transition numérique, énergétique, d’une recherche accrue d’autonomie aussi, en travaillant pour son propre compte par exemple. 

Pour moi, la question de l’autonomie est essentielle : si toutes les entreprises étaient organisées de manière à octroyer plus d’autonomie aux salariés, on aurait plus d’égalité entre les femmes et les hommes. Cela entraînerait aussi une profonde remise en question de tout ce qui est statuts hiérarchiques, faux-semblants… ce qui permettait du même coup de réduire les « bullshit jobs » au sein des entreprises. Car quand on fonctionne en autonomie, il n’y a finalement que le « vrai » travail qui compte. 

Le télétravail joue-t-il un rôle dans cette recherche d’autonomie ? 

Oui. Travailler à distance contribue réellement à obtenir une indépendance dans la manière de travailler. Si vous êtes parent de jeunes enfants par exemple, vous pouvez être forcé de prendre du temps partiel pour vous en occuper, a fortiori si vous êtes une femme. Alors qu’en télétravail, il est beaucoup plus facile de gérer son emploi du temps.

Chez nous malheureusement, les résistances au télétravail sont encore très fortes du côté des entreprises, alors qu’elles ne le sont pas du tout du côté des salariés. Le télétravail, pour bien fonctionner, doit s’inscrire au sein d’une hiérarchie plus horizontale, système qu’on trouve encore peu dans notre pays. De plus, ce mode de travail se heurte à une culture du présentéisme qui demeure très forte dans les entreprises françaises. 

(Crédits photo : Laëtitia Vitaud )


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