Le point de vue de l’oeil de l’Observatoire Cetelem
APRÈS LE CONSOMMATEUR ACTEUR, ANIMÉ PAR LA QUÊTE D’UNE OFFRE QU’IL POURRAIT PERSONNALISER, PUIS LE CONSOMMATEUR AUTEUR QUI SOUHAITE CO-CONCEVOIR AVEC LES MARQUES CE QU’ELLES LUI DESTINENT, PLACE DÉSORMAIS AU CONSOMMATEUR ACTIVISTE, ULTIME FIGURE DE LA CONSOMMATION POST-MODERNE.
Le consommateur activiste est d’abord un activiste.
Il souhaite agir et la consommation est son arme.
Agir pour les siens, pour les autres, pour son environnement comme pour sa planète qui est aussi la nôtre.
C’est peu dire que le consommateur activiste est déterminé.
Déterminé à modifier les règles du jeu actuelles plutôt qu’attendre les grands soirs avec leurs promesses de nouveau monde. Déterminé, aussi, à montrer que sa génération est la première à avoir pris conscience des limites et des dangers d’une course permanente au toujours plus.
Le consommateur activiste est un consommateur engagé qui souhaite que ses combats soient entendus et reconnus. Car agir, aujourd’hui, c’est se voir agir.
Il ne s’agit pas pour autant de militer contre la consommation ou de la dénoncer comme il y a cinquante ans lorsque sa logique d’expansion sans limites se trouva, pour la première fois, confrontée à la crise économique.
Mais de créer les conditions pour faire émerger une nouvelle forme de consommation. Plus responsable, plus proche de ses véritables désirs que des impératifs de nouveauté permanente et animée par l’idée de faire circuler les biens pour que chacun puisse en profiter plutôt que de les accumuler au profit de sa seule jouissance.
Le consommateur activiste n’a pas renoncé à la consommation.
Là réside son originalité. Face à un pouvoir d’achat entravé, il n’a pas décidé (comme d’autres en d’autres temps) de se résigner, en consommant moins ou en renonçant à une partie de son plaisir, mais de consommer autrement. La consommation individuelle se conjugue désormais aux temps pluriels. Après « Je consomme, donc je suis », voici le temps du « Je consomme, donc nous sommes ».
Toujours critiquée pour ses excès et son penchant à activer des désirs qui n’auraient rien demandé, la consommation se retrouve donc aujourd’hui au coeur du changement.
C’est par la consommation que la consommation se réinventera. C’est par une consommation plus solidaire, plus responsable et plus consciente des enjeux énergétiques et écologiques de la planète que l’on pourra, peut-être, réussir à la préserver. Qui l’aurait cru ?
De nouvelles figures consommatoires voient ainsi le jour, mues par la motivation de consommer autrement.
Consommer pour défendre son environnement et affirmer ainsi sa citoyenneté. Consommer sans renoncer malgré un pouvoir d’achat tendu. Et même consommer sans dépenser, ultime figure paradoxale et preuve de l’état d’innovation dans lequel se trouve aujourd’hui la consommation.
En voici quelques illustrations repérées au fil du temps par l’OEil de l’Observatoire Cetelem au cours de ces derniers mois.
CONSOMMER POUR DÉFENDRE SON ENVIRONNEMENT
Consommer mieux, c’est prendre conscience des enjeux de sa consommation.
Préserver une filière, un métier, un savoir-faire, voire l’activité d’une région offre de nouvelles raisons d’acheter.
• À Rouen, Caen, Le Havre et Paris (19), Le Local se présente comme un magasin de vente directe de produits fermiers pour proposer des produits locaux au juste prix.
• À Colmar, sur la route de Neuf-Brisach, six agriculteurs qui ont repris un ancien magasin Lidl, rebaptisé Coeur Paysan, proposent en direct leurs produits, tous originaires d‘Alsace. Trente producteurs, reconnaissables à leur tablier vert, sont associés au projet comme actionnaires de l’entreprise et doivent passer au moins deux demi-journées par mois au magasin.
Proposer une expérience de vente directe de produits agricoles aux urbains est autant une initiative économique qu’un acte symbolique qui vient témoigner d’une envie actuelle d’initier de nouveaux modèles. En proposant des prix justes plutôt que des prix bas afin de défendre une production et des traditions locales, ces enseignes incitent leurs clients à prendre de la distance par rapport à la seule préoccupation prix pour s’interroger sur la valeur des choses et favorisent une prise de conscience des origines des produits. En se présentant comme des communautés de producteurs, elles font aussi la preuve qu’un autre mode de fonctionnement est possible pour le commerce puisque ici, chacun de ses membres contribue autant à l’approvisionnement du magasin qu’à son animation, à sa gestion et même à la diffusion du savoir agricole.
Lancée à la fin de l’année dernière, la Carte Française se présente comme la première carte-cadeau du Made in France. Il s’agit d’une carte prépayée pouvant être utilisée auprès de plus de quatre-vingts marques hexagonales, en ligne ou en boutique.
Tous les secteurs du Made in France sont représentés et sont autant concernées les marques connues que celles en quête de notoriété.
Pour redonner envie de consommer, il n’y a pas que les prix bas, les promos et les offres exclusives… La Carte Française vient parfaitement illustrer la manière dont une offre doit aujourd’hui se présenter pour séduire des consommateurs devenus attentistes : en étant porteuse d’une offre à la fois thématisée et engagée. Thématisée pour se différencier et, ainsi, attirer l’attention.
Engagée pour répondre aux attentes de consommateurs de plus en plus désireux d’exprimer leur citoyenneté à travers leurs achats. Ce couple thème/engagement pourrait ainsi pertinemment venir revamper la période des soldes qui peine aujourd’hui à attirer les clients. Le Black Friday qui cette année encore a battu des records en dépit d’un climat hostile n’est-il pas déjà perçu comme le bon moment pour acheter du matériel électronique et n’a-t-on pas vu, pour la première fois, apparaître le concept de Green Friday ? À quand un Black Friday citoyen ? Et, aussi, pourquoi pas, des soldes qui ne concerneraient que des produits Made in France…
Il y a un an environ, à Hambourg, H&M testait son dernier concept pilote de magasin baptisé Take Care, conçu pour lui permettre de mettre en oeuvre son ambition de n’utiliser que des matériaux recyclés ou durables d’ici 2030.
Ici, pas de énième ligne de vêtements mais que des produits d’entretien (la première ligne de détergents de l’enseigne, labellisée Good Environnemental Choice et fabriquée en Suède), des ateliers de couture (animés par des influenceurs…) et des conseils en ligne et sur tablettes pour aider ses clients à prolonger la vie de leurs articles de mode (effacer une trace de rouge à lèvres, recoudre un bouton, repriser…). Il est également possible de faire réparer sur place ses vêtements par des professionnels, quelle qu’en soit la marque.
L’enseigne de demain ne sera pas celle qui incitera le plus à acheter, mais celle qui réussira le mieux à favoriser la responsabilité de ses acheteurs. Il s’agit, ici, d’inciter ses acheteurs à prendre soin de leurs achats en les aidant à en prolonger la durée de vie.
Après le commerce qui vend des produits, puis celui qui propose des services pour mieux profiter des produits vendus, voilà le temps des enseignes qui incitent leurs clients à limiter la fréquence de leurs achats…
CONSOMMER SANS RENONCER
Consommer mieux, c’est aussi apprendre à consommer au plus près de ses besoins.
Pourquoi posséder ce qui ne sert pas tous les jours ? Pourquoi garder ce qui ne sert plus ? Pourquoi toujours acheter neuf ?
• Les cofondateurs du géant chinois Alibaba ont investi 20 millions de dollars dans le portail Rent The Runway, site américain de location de vêtements. En France, le groupe Kering est (discrètement) en train de tester son propre modèle de «s ouscription » (le mot est préféré à celui de location…) par abonnement. Il a pour cela recruté l’ancien directeur général d’eBay.
• Il est désormais possible de louer des meubles chez Ligne Roset avec une option d’achat à la clé au bout de cinq ans. Un nettoyage gratuit et la visite d’un architecte d’intérieur pour aider au choix des meubles sont inclus dans le service de location.
• À Stockholm, H&M propose un service de location de vêtements issus de ses collections éco-responsables « Conscious Exclusive ».
Moyennant 350 couronnes suédoises pour chaque pièce louée (32 euros), les membres du programme pourront emprunter jusqu’à trois articles pendant une semaine.
Après la téléphonie et l’automobile, les systèmes d’abonnement se généralisent.
Louer pour bénéficier des derniers modèles ou de modèles trop chers. Louer pour essayer un produit avant de l’acheter. Louer pour un moment particulier. Louer pour passer du statut d’acheteur à celui d’abonné.
Pourquoi faudrait-il toujours associer fidélité et possession ?
• L’enseigne de chaussures Bocage (groupe Eram) teste actuellement, dans six magasins pilotes et auprès de 50 clientes détentrices de la carte Bocage, un système inédit de location de chaussures baptisé Atelier Bocage. Moyennant 39 euros par mois, les clientes ont la possibilité de prendre rendez-vous, via l’e-shop, pour rencontrer une conseillère style en boutique afin d’essayer trois paires neuves préalablement identifiées en ligne après avoir répondu à quelques questions. Elles peuvent en sélectionner une après essayage et la porter pendant deux mois avant de la rapporter en boutique. Si une abonnée souhaite conserver sa paire au-delà du délai de deux mois, elle pourra l’acheter à un tarif de -60 %.
À l’heure où la responsabilité environnementale des entreprises de mode est de plus en plus fustigée, l’initiative de Bocage fait figure de nouveau modèle à suivre, davantage marqué par la circulation que par l’accumulation.
Il participe à la relance de l’envie d’acheter autant qu’à la réinvention de la relation client-enseigne. Ici, le digital et le « physique » ne sont pas séparés, mais complémentaires : les paires de chaussures sont repérées en ligne, puis choisies en magasin avant d’être remises en ligne pour être revendues, décrivant un chemin aussi vertueux qu’inédit.
Le fabricant de chaussures Weston a récemment annoncé l’ouverture d’un nouveau département baptisé Weston Vintage où ses anciens modèles seront proposés à la vente, une fois restaurés.
Concrètement, la marque proposera à ses clients de venir déposer leurs anciennes paires (soit neuf modèles emblématiques) pour procéder à une expertise et recevoir un bon d’achat. Seules trois boutiques proposent ces modèles. Selon une étude menée par le Boston Consulting Group, 57 % des acheteurs de luxe de seconde main se sont ensuite tournés vers les produits neufs ou songeraient à le faire…
Après le luxe accessible, voici le temps du luxe autrement accessible. Par le vintage, le nouveau marché qui attire toutes les convoitises et cumule les avantages. Il relance l’attractivité des anciens modèles (souvent les plus emblématiques), permet d’attirer l’attention sur la marque, qu’il s’agisse de clients plus jeunes (pas seulement) ou tentés par le luxe, mais freinés par le prix ou encore de tous ceux qui voient là une proposition responsable. Le vintage est aussi l’opportunité pour les marques de valoriser leur dimension patrimoniale, en particulier à travers l’angle, essentiel pour elle, de la transmission et cela de façon bien plus vraie et efficace que toutes les campagnes de pub et autres storytellings aux contours trop parfaits.
CONSOMMER SANS DÉPENSER
Consommer mieux, c’est enfin envisager la consommation comme une source inattendue de revenus. La consommation cesse d’être synonyme de consumation…
Aux États-Unis, General Motors propose un programme pilote sur le modèle d’Airbnb permettant au propriétaire d’un véhicule de la marque de le proposer en location quand il ne l’utilise pas. La mise en relation se fait via la plateforme digitale du constructeur qui permet de géolocaliser les véhicules disponibles. Une fois l’accord passé, il n’est même pas toujours nécessaire de se rencontrer puisque les véhicules les plus récents peuvent s’ouvrir et démarrer grâce à un smartphone.
Comme toutes les marques automobiles, General Motors tente de passer du statut de constructeur à celui de « fournisseur de mobilité » pour afficher sa responsabilité face aux enjeux environnementaux et séduire de nouveaux clients. Mettre à disposition des autres son véhicule, c’est en assurer une partie de son financement. C’est aussi pour la marque qui en est à l’origine l’opportunité de toucher de nouveaux clients et de s’immiscer dans les conversations bien plus efficacement qu’à travers les médias traditionnels. Voici venir le temps de la marque en partage…
En France, Ucar2Share permet à tous ceux qui souhaitent changer de voiture d’en financer l’acquisition contre quelques jours de location par mois. Concrètement, il leur suffira de mettre leur nouvelle voiture à disposition sur la plateforme Ucar2Share pour en tirer un revenu par jour de mise en partage. Celle-ci sera assurée par l’agence Ucar la plus proche qui gérera le nettoyage, l’assurance, l’assistance ou encore la remise en état. L’automobiliste pourra piloter ses jours de mise en partage grâce à l’application Ucar2Share.
La proposition de Ucar vient dessiner les contours de la consommation de demain.
Une consommation qui se réinvente en jouant avec les frontières et les paradoxes : dépenser et, simultanément, gagner de l’argent, louer pour pouvoir mieux acheter ou encore acheter, à la fois pour soi et pour les autres.
La consommation de demain sera celle qui saura réinventer la consommation sans la réduire, ni l’associer à de la culpabilité : un acte individuel au service des autres.