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Pourquoi tout le monde peut (en théorie) tomber dans le conspirationnisme ?

18
nov
2020

(ETX Studio) – Orchestrée de toute pièce par les puissants de ce monde, complicité de ceux qui nous dirigent pour nous forcer à nous vacciner… Depuis l’arrivée de la pandémie de Covid-19, les théories complotistes vont bon train, comme en témoigne le récent succès du documentaire français « Hold-Up » de Pierre Barnérias, diffusé mercredi 11 novembre. Un climat largement favorisé par la grande incertitude qui règne autour de cette crise sanitaire inédite, explique le psychologue Albert Moukheiber. 

Loin d’être un mouvement isolé, nombreux sont celles et ceux (quelle que soit leur classe sociale), qui adhérent aux théories complotistes. En février 2019, un sondage Ifop révélait qu’un Français sur cinq est susceptible de croire à au moins une théorie complotiste. Mais d’où vient cette fascination pour cette forme de désinformation ? Albert Moukheiber, docteur en neurosciences cognitives, nous aide à y voir plus clair. 

Que se passe-t-il dans la tête de quelqu’un convaincu par une théorie conspirationniste ? 

Albert Moukheiber : Lorsqu’une personne adhère à une théorie du complot, elle ne sait pas par définition qu’il s’agit de conspirationnisme. Nous tentons toutes et tous de créer une cohérence à partir d’informations très éparses, qu’il s’agisse de virus, de chômage ou de politique… Donc, la personne qui adhère à une théorie complotiste se dit qu’elle est en train de comprendre ce qu’il se passe, car on lui fournit une proposition d’explication.

Cela se vérifie d’autant plus quand ces thèses se basent sur l’incertitude. À chaque situation inconnue, on aura plus tendance à opter pour l’histoire qui nous arrange. Un peu comme les horoscopes finalement : ils sont écrits de manière ambiguë; afin que tout le monde puisse s’y retrouver à un moment donné. 

Un nouveau virus qui s’abat sur la Terre entière, voilà quelque chose de totalement inédit ! Par exemple, je pense que peu de gens voient la ceinture de sécurité dans les voitures comme une restriction de notre liberté. La différence entre la ceinture et les masques, c’est que la ceinture est acquise depuis longtemps, alors que le masque est nouveau et a été sujet à de nombreuses contradictions. 

Le phénomène n’a rien de nouveau, mais est grandement amplifié par les réseaux sociaux. À l’époque de l’apparition du VIH aussi il y a eu beaucoup de fantasmes autour du virus, mais la vitesse de diffusion de l’information n’était pas du tout la même.

Dans quelle mesure la peur peut-elle alimenter ces fantasmes ? 

La peur est une émotion comme une autre et je ne sais pas pourquoi on lui octroie une importance aussi grande, comparée à une autre émotion. La peur n’appartient pas à un camp spécifique : elle peut être tantôt légitime, tantôt instrumentalisée.

Si on observe la situation de la crise sanitaire avec un peu de recul, on se rend compte qu’en moins d’un an, on a identifié la nature du virus, mis en place des politique publiques pour tenter de l’éradiquer, développé des tests… Et pourtant, certains vont affirmer qu’on nous ment pour mieux nous contrôler et qu’il n’y a donc pas de raison d’avoir peur du virus. À l’inverse, ceux qui n’adhérent pas à ces théories incitent à avoir peur, à la fois pour se protéger du virus mais aussi de ces thèses conspirationnistes.

Dans le cas des complotistes, je pense aussi qu’il est plus « rassurant » d’identifier clairement un (ou plusieurs) responsables de cette crise. Pour interpréter les faits, on peut préférer pointer les humains, plutôt qu’une cause complexe et systémique (à la fois environnementale, politique et économique). 

Finalement, nous sommes toutes et tous potentiellement susceptibles de tomber dans le piège. Comment s’armer ? 

Je pense que c’est à la fois une question de confiance, de méfiance et d’information. Et aussi de défiance face à quelqu’un qui nous propose un récit qui va « nous arranger ». Lorsque l’on veut créer une réalité commune, il faut essayer de raisonner en pourcentages. C’est pour ça que dans le domaine de la science, nous ne publions pas nos recherches dans un documentaire ou un film, car nous les faisons vérifier par des paires. Est-ce que cela fait de nous des experts infaillibles pour autant ? Absolument pas ! La méthode scientifique, c’est à la fois la recherche, mais aussi tous les garde-fous pour réduire les marges d’erreur. 

Je considère d’ailleurs que le principe devrait être le même partout, en particulier dans les médias. J’ai toujours été étonné par certains chroniqueurs à la télé qui monopolisent le temps d’antenne dans les émissions, en donnant leur avis sur des sujets (politique, sport, économie, etc.) alors qu’ils ne sont pas experts dans ce domaine ! 

Mais on a habitué les gens à ce que cela soit acceptable, et ce bien avant le film « Hold-Up ». Alors dire que les gens qui adhèrent aux théories complotistes sont simplement « bêtes » me semble injuste et incorrect, dans la mesure où cela revient surtout à critiquer une culture de l’infotainment mise en place depuis 15-20 ans et qui, selon moi, n’a rien à voir avec l’intelligence. 

(Crédits photo : Courtesy of Tprod and Tomawak )


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