Detroit ou Las Vegas, le secteur automobile entre deux chaises
(AFP) – Mecque de l’automobile américaine, le salon de Detroit est désormais forcé de partager son trône avec la grand-messe de l’électronique de Las Vegas où se bousculent les constructeurs et qui vient menacer sa position jusqu’ici dominante.
Soleil et paillettes de Las Vegas ou neige et bleu des usines de Detroit: le mois de janvier vire au casse-tête depuis trois ans pour les constructeurs automobiles, d’autant que le CES et Detroit se suivent dans le calendrier, ce qui laisse peu de temps aux exposants, lancés dans la course à la voiture de demain, pour reprendre leur souffle.
A ce jeu, le salon de Detroit semble médiatiquement de plus en plus relégué au second rang.
« A Detroit, c’est le monde d’hier qui se réunit, et il est de plus en plus petit », assène l’analyste allemand Ferdinand Dudenhöffer, de l’Université de Duisbourg-Essen. « A Detroit, on montre la voiture d’hier et au CES la voiture de demain ».
Les éditions 2018 des deux salons, séparés par deux jours d’intervalle, reflètent cette caractérisation.
A Las Vegas, étaient présents la plupart des fleurons de l’automobile. Ford y a dévoilé sa plateforme de robots-taxis; Mercedes-Benz a présenté le concept de la Smart Vision EQ, une voiture disposant d’un écran sur la face avant du capot. Toyota a montré des concepts similaires.
A Detroit, Ferrari, Bentley, Maserati, Volvo, Porsche, Jaguar, Land-Rover étaient absents. Il y a eu beaucoup de grosses voitures mais aucune annonce révolutionnaire.
General Motors, dont le siège est à quelques centaines de mètres du centre des expositions, était discret. Une seule (Chevrolet) de ses quatre marques a tenu un événement officiel.
Aucun grand nom de la Silicon Valley n’était visible. Tesla, le constructeur californien des véhicules électriques de luxe, n’est plus venu à Detroit depuis le début d’un bras de fer juridique avec l’Etat du Michigan opposé à son modèle de vente directe au consommateur.
Jeff Kowalsky, un photographe pigiste, qui couvre le salon depuis près de 30 ans, se souvient que c’est à Detroit que Nissan et Toyota ont annoncé en 1989 la création de leurs marques premium respectives, Infiniti et Lexus.
En 2008, Dodge a introduit un gros SUV dans la rue au milieu de taureaux et de cowboys qui ont interrompu la circulation.
– Aura perdue –
« Il y avait beaucoup de grosses annonces. Il y avait des surprises », raconte Jeff, pour qui le salon de Detroit représente une part substantielle de ses revenus annuels. Cette grand-messe, qui attire plus de 800.000 personnes par an, a généré 450 millions de dollars de revenus à la ville de Detroit en 2017, en hausse de 20 millions.
« Ce salon est toujours pertinent », défend Max Muncey de NAIAS, l’organisateur. « Les voitures qui sont lancées à Detroit sont les produits vache à lait » des constructeurs.
« Il y a beaucoup de choses qui brillent et scintillent à Las Vegas mais qui ne seront jamais mises sur les routes. ça brasse de l’air pour rien (…) Ils (CES) peuvent avoir une grosse couverture médiatique mais ce n’est pas ça qui fait vivre l’industrie », fustige Max Muncey.
« Detroit est le salon où il faut être pour voir des applications concrètes des technologies à l’automobile », confie Dave Sabol, 31 ans, ingénieur chez la startup Nexteer, qui participe à AutoMobiliD, une sorte de forum des « techs » censée apporter une touche « hype » à Detroit.
Outre la concurrence de Las Vegas, Detroit souffre aussi de l’aura perdue du marché américain, devancé désormais par la Chine.
« Ce ne sont plus les Etats-Unis qui sont le pays des opportunités illimitées pour les constructeurs automobiles, mais la Chine et le reste de l’Asie », explique Ferdinand Dudenhöffer.
En 2000, les Etats-Unis pesaient encore 34,6% des ventes automobiles mondiales, une part passée à 20,2% en 2017 et qui ne sera plus que de 16,3% en 2025, selon M. Dudenhöffer. A l’inverse, la Chine est passée de 1,2% en 2000 à 28,8% en 2017, et devrait être à 33,4% en 2025.
« Est-ce que je pense qu’il y a un meilleur moyen de l’organiser ? Probablement. Mais je ne suis pas certain qu’on puisse rejeter l’institution », confie Sergio Marchionne, le PDG de Fiat Chrysler en évoquant le salon de Detroit.
(Crédits photo : DAVID MCNEW / AFP )