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La voiture, « de moins en moins un objet de fantasme »

27
sep
2018

(AFP) – L’équipement en automobiles continue de progresser dans le monde malgré l’essor des nouvelles mobilités, mais la voiture devient moins un objet de fantasme, estime Jean-François Doulet, maître de conférences à l’Ecole d’urbanisme de Paris, spécialiste des mobilités et auteur de Atlas de l’automobile (Ed. Autrement).

QUESTION : Les jeunes n’achètent plus de voitures neuves et l’automobile est concurrencée par de nouveaux modes de mobilité… Est-ce le début de la fin de la civilisation automobile?

REPONSE : « Il est impossible de dire que c’est la fin de la voiture, même dans les pays riches. De plus en plus de ménages possèdent une automobile. Aux Etats-Unis, en Europe, les jeunes sont plus équipés qu’avant, les pauvres aussi, grâce au développement du marché de l’occasion. Cependant, l’achat statutaire est devenu moins important, la voiture est de moins en moins objet de fantasme et de plus en plus de l’ordre du quotidien.

On a tendance à survaloriser les mutations, certes très profondes et très intéressantes, qui s’effectuent dans le centre des grandes métropoles mondiales. Les habitants de Paris intra-muros, par exemple, ont des comportements d’achats et de mobilités totalement atypiques qui ne ressemblent à rien de ce qu’on peut voir dans le reste de la France y compris dans la périphérie de Paris. Depuis le début des années 1970 et les premières études sur le sujet, le taux d’équipement des ménages parisiens en automobiles a toujours été deux ou trois fois inférieur à celui des autres Franciliens. On retrouve le même phénomène à New York ».

Q: La concentration de la population dans les grandes métropoles est-elle donc de mauvais augure pour l’avenir de l’automobile?

R: « Des cadres du centre-ville de Paris décident de ne plus avoir de voiture et de faire de la location. Ce qui est important pour eux ce n’est pas de montrer qu’ils ont pu acheter une belle voiture, mais que grâce à la mobilité ils ont voyagé, ils sont cultivés, ouverts sur le monde.

Mais les populations des grandes métropoles se concentrent dans les périphéries, pas dans les centre-villes. Qu’on aille à Rabat, au Caire, à Shanghaï, à Jakarta, ou ailleurs, on a de la périurbanisation, avec un mode de vie qui est très voiture. En banlieue parisienne, les taux d’équipement en automobiles sont comparables au monde rural. La métropole génère de la mobilité et le monde urbain n’est pas anti-voiture. Cela peut apparaître comme un paradoxe, mais ça n’en est pas un, les grandes métropoles sont des territoires très hétérogènes ».

Q: Pourquoi voit-on toujours plus de 4X4 (SUV) et de modèles suréquipés?

R: « La classe moyenne des Trente glorieuses s’était construite entre autres sur la valorisation symbolique de la voiture. A l’époque, l’accès à la propriété, l’accumulation de signes extérieurs de richesse étaient des éléments de statut social extrêmement importants, comme aujourd’hui dans les pays émergents. Chez nous, ça l’est largement moins désormais. Mais nos sociétés sont plus complexes, les classes moyennes plus disparates sur les systèmes de valeurs, entre ceux qui sont prêts à délaisser la voiture pour aller vers les services de mobilité, ceux qui la voient juste comme un moyen de transport et ceux qui pensent qu’elle est encore un élément de prestige.

Le statut n’a donc pas disparu et est incarné par le SUV, devenu la référence des classes moyennes partout dans le monde. Le SUV représente une réaction à la crise, à la peur de déclassement, c’est le cocon sécuritaire confortable qui permet de se dire: +finalement, je ne suis pas en train de dégringoler l’échelle sociale+. Il y a aussi un phénomène de consommation hédoniste: dépenser dans la voiture c’est se donner un peu de plaisir dans une société stressée ».

(Crédits photo : Courtesy of Editions Autrement )

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