L’Europe redémarre lentement, le duo franco-allemand s’interroge
Avec son Baromètre annuel, l’Observatoire Cetelem dresse la carte météorologique des Européens, les interrogeant sur leur moral, sur leur situation économique personnelle et celle de leur pays, sur leur attitude vis-à -vis de la consommation et de l’épargne. On pourrait tout autant filer une métaphore médicale et parler de thermomètre tant les Européens ont été confrontés ces dernières années à des crises qui ont mis à l’épreuve leur santé, au propre comme au figuré. Ainsi, les deux premiers indicateurs du Baromètre, la perception de la situation du pays et celle de la situation personnelle épousent sur cette période des ondulations à peu près similaires, au gré des événements, nombreux, qui ont impacté la marche du monde.
SITUATION DES PAYS : UNE AMÉLIORATION LENTE
Concernant la perception de la situation de leur pays, les Européens continuent à la voir légèrement s’améliorer, sans pour autant faire preuve d’un optimisme béat. Avec une note de 5,2, elle affiche la hausse minimale de 0,1 point, égale à celle enregistrée l’an dernier. Ainsi, on se rapproche peu à peu du point haut des dernières années, un modeste 5,4 enregistré au sortir de la crise de la Covid-19, qui n’avait pourtant rien de véritablement euphorique.
La Belgique continue à donner la meilleure note, la situation politique instable de leur pays n’affectant pas le jugement des citoyens à ce sujet. Elle est rejointe, cette année, sur cette plus haute marche par la Suède qui enregistre la meilleure progression (+ 0,3 point). La vraie nouveauté réside dans le point bas, avec une France qui affiche à la fois le plus mauvais score du Baromètre (4,6) et la plus forte baisse (- 0,3 point). À noter également qu’au fil du temps, l’écart entre les notes les plus opposées tend à se resserrer. Celui-ci était de plus de 2 points en 2019 entre une Allemagne en tête et une Roumanie en dernière position contre seulement 1,2 point aujourd’hui et 1 point l’an dernier (Fig. 1 Baromètre).
UN MORAL PERSONNEL QUI SE MAINTIENT
Comme toujours depuis que le Baromètre Cetelem existe, les Européens sont optimistes quand ils jugent leur situation personnelle, avec un classement quasiment inchangé. La moyenne s’établit à 6 et aucune note n’est en baisse. Elles augmentent au mieux de 0,2 point, comme en Suède ou en Espagne.
Comme l’an dernier, la Belgique s’installe en haut du classement alors que la Pologne persiste à occuper la dernière position. De même que pour l’estimation de la situation personnelle, l’écart entre les extrêmes se réduit avec le temps pour n’être plus désormais que de 0,8 point. Derrière ces résultats, il faut sans doute voir de la part des Européens une forme d’attentisme dans une période où certaines difficultés s’estompent, comme l’inflation qui recule ou la Covid-19 devenue une maladie presque « banale ». Toute- fois, d’autres événements demeurent en suspens, n’ayant pas encore révélé leurs vérités, tels les crises géopolitiques ou les changements de gouvernements dans de nombreux pays (Fig. 2 Baromètre et Fig. 3 Baromètre).
UN RECUL DE L’INFLATION MAL PERÇU
En dehors des crises sanitaires et géopolitiques, l’inflation aura été la grande affaire de ces dernières années. À la fin de 2024, à 2,4 %, celle-ci est proche de passer dans l’Union européenne sous la barre symbolique des 2 %, chiffre qui caractérise selon la Banque centrale européenne la stabilité des prix. Pourtant, il existe encore de fortes disparités nationales. En Belgique, en Pologne et en Roumanie, l’inflation est supérieure à 4 % alors qu’en Espagne, en France et en Italie, le recul est sensible et le passage sous la barre symbolique établi. Les experts économiques sont globalement unanimes pour souligner une maîtrise de l’inflation plus rapide qu’attendue.
Les Européens interrogés pour ce nouveau Baromètre ne semblent pas partager cet optimisme. De façon générale, ils persistent à penser que les prix ont augmenté, voire nettement augmenté (Fig. 4 Baromètre). Certes, ce dernier sentiment est nettement en baisse par rapport à l’an dernier (-14 points) mais il reste encore 45 % d’entre eux pour constater une nette augmentation des prix. Les Portugais et les Roumains s’affichent de loin comme les plus pessimistes, les premiers connaissant cependant une inflation en net recul au contraire des seconds. Une fois n’est pas coutume, les Français se montrent davantage pondérés sur cette question.
Cette différence entre réalité et perception peut s’apparenter à un comportement à la Saint-Thomas. Pour être convaincu que les prix baissent, il faut le constater pour enfin y croire, la temporalité entre ces deux événements pouvant s’étaler sur plusieurs mois. Rendez-vous l’année prochaine pour le constater. Par ailleurs, l’inflation a particulièrement été sensible sur les produits alimentaires et l’énergie, deux postes qui touchent au quotidien les ménages aux revenus les plus faibles et marquent durablement les jugements.
DU MIEUX POUR LE POUVOIR D’ACHAT
Concernant leur pouvoir d’achat, les Européens adoucissent leurs points de vue pour se montrer plus optimistes. Dans tous les pays, le pourcentage des personnes interrogées pensant que celui-ci a augmenté ou est resté stable est supérieur à 50 % (Fig. 6 Baromètre). S’il n’en demeure pas moins une forte proportion de personnes pour penser le contraire, là encore, ces perceptions régressent sensiblement depuis l’an dernier. Le plus fort recul est enregistré au Portugal (- 15 points), le plus faible en Pologne (- 5 points). Les inquiétudes à ce sujet restent vivaces en France et au Portugal alors qu’elles sont moins sensibles dans les pays du Nord. Il semblerait donc, de façon globale, que les augmentations de salaires aient exercé une influence certaine sur les opinions des Européens.
L’ÉPARGNE A TOUJOURS LA COTE
Ce sentiment d’un pouvoir d’achat qui s’améliore a-t-il une influence sur l’épargne et la consommation des Européens ? Pas vraiment, tant les opinions sont relativement partagées entre faire plus ou faire moins dans ces deux domaines, et que l’évolution sur le long terme ne plaide pas en ce sens.
En matière d’épargne, 55 % des Européens souhaitent l’augmenter, un score quasi égal à celui de la période Covid (Fig. 9 Baromètre). Alors que les intentions d’épargne s’élèvent à 67 % en Roumanie, 65 % au Royaume-Uni et 58 % en Pologne, elles ne sont « que » de 43 % en France et 47 % en Belgique, seuls pays avec un score inférieur à la moyenne.
Seules l’Allemagne et la Pologne affichent des intentions en légère baisse (- 1 point et – 3 points), alors que la volonté d’épargner s’accroît le plus fortement en Italie et au Royaume-Uni (+ 7 points).
Depuis le Baromètre de 2019, hormis la Suède, tous les pays connaissent une croissance soutenue des intentions d’épargne. Pour autant, les écarts sont très sensibles entre les pays.
Cette attitude de précaution ne se dément pas. Elle peut trouver sa source dans une volonté de ne pas compromettre l’avenir et de conserver une latitude budgétaire alors que les déficits étatiques ont rarement été aussi élevés et peuvent augurer des augmentations d’impôts pénalisantes pour le pouvoir d’achat.
Soulignons que le taux d’épargne qui s’élevait à 15,7 % du revenu au deuxième trimestre 2024, dans la zone euro, n’a jamais été aussi élevé (source : Eurostat).
LA CONSOMMATION POSE TOUJOURS QUESTION
Question consommation, la méfiance pour ne pas dire la défiance est encore plus sensible. 57 % des Européens n’envisagent pas d’augmenter leurs dépenses (Fig. 10 Baromètre). En revanche, par rapport à l’épargne, les intentions par pays sont plus diverses. 4 pays revendiquent des intentions consuméristes à la hausse, contre 6 pays pour les envisager à la baisse. Les écarts sont cependant peu sensibles : + 3 points en Grande-Bretagne, Roumanie et Pologne, – 5 points en Suède et en Espagne. Si l’on trace une perspective depuis 2019, cette diversité d’intentions reste palpable, sans pour autant concerner les mêmes nations, avec cependant toujours les Britanniques pour vouloir dépenser plus et les Suédois pour conserver leur porte-monnaie fermé.
Les chiffres réels offrent quant à eux un panorama contrasté avec seulement l’Espagne et le Portugal où la consommation progresse sensiblement (+ 2 % et + 3,3 %).
PAS PLUS OU PAS MOINS D’ENVIES
De fait, et en toute cohérence, les Européens sont très partagés au sujet de leurs envies de dépenser. Des envies qui, de façon remarquable, restent similaires à celles de l’an dernier, 53 % répondant toujours par l’affirmatif. C’est en Italie et en Roumanie que celles-ci sont les plus fortes alors qu’en Belgique et en Allemagne les consommateurs manquent d’entrain. Toujours par rapport à 2019, les envies de dépenser sont en baisse de 6 points, une baisse particulièrement sensible en Pologne et en Allemagne (Fig. 11 Baromètre).
LES VOYAGES EN TÊTE DE LISTE
S’ils choisissent de consommer, les Européens continueront à privilégier les voyages dans 58% des cas, un score relativement stable dans le temps, exception faite de la période Covid-19. La deuxième place de ce classement est occupée par les abonnements aux plateformes de streaming vidéo qui séduisent plus de 4 Européens sur 10. Par rapport à 2019, ce résultat connaît la plus forte hausse (+ 14 points), suivi par celui de l’achat de consoles de jeux, signe d’une évolution vers une consommation davantage servicielle (voir : Observatoire de la consommation Cetelem 2025).
Allemagne et France, le moteur européen a des ratés
Pour les Français et les Allemands, l’année 2024 a été politiquement tendue.
Le 9 juin dernier, le président Macron décidait de faire all in en dissolvant l’Assemblée nationale pour remporter la mise électorale. Les résultats du 7 juillet lui donnaient tort.
Suite à la perte du vote de confiance du chancelier Olaf Scholz, le 16 décembre, le président Steinmeier fixait de nouvelles élections fédérales au 23 février 2025. À l’heure où nous rédigeons ce Baromètre Cetelem 2025, nous ne connaissons pas encore le profil du nouveau Bundestag. Seule certitude, il sera sensiblement modifié.
LE DÉFICIT BUDGÉTAIRE, QUESTION CENTRALE
Les deux pays connaissent également, mais dans des proportions moindres, une crise budgétaire profonde. En France, l’objectif des nouveaux gouvernements se fixe autour d’environ 5,4 % de déficit, avec une dette qui atteint plus de 113 % du PIB. En Allemagne, alors que celle-ci s’élève à seulement 63 % du PIB et que le déficit budgétaire sera d’environ 2 % en 2024, le sujet fait aussi débat. Un déficit structurel d’au maximum 0,35 % inscrit dans la constitution, hors récession, limite les marges de manœuvre du gouvernement alors que le pays a besoin d’investissements massifs. Et ce dernier risque de se retrouver pris en étau entre les sanctions de la nouvelle administration américaine et celles du gouvernement chinois appliquées à l’Europe. Or, l’Allemagne est en plein doute au plan économique, avec notamment une confiance en son secteur automobile et ses activités traditionnelles majeures passablement ébranlées.
DES DOUTES SUR LA SANTÉ DU PAYS ET SA SITUATION PERSONNELLE
Les résultats de ce nouveau Baromètre Cetelem témoignent de cette fragilité du couple franco-allemand. Rappelons que l’enquête terrain a été réalisée à l’automne, en plein vide gouvernemental français qui pouvait présager un tropisme belge* et les sautes de tension législatives allemandes. Leurs impacts ne sauraient être mésestimés, sans pour autant tout expliquer, les racines du doute étant parfois plus anciennes.
La note accordée à la situation du pays en est une première traduction, de façon cependant différente. Alors que l’Allemagne donnait en 2019 un fier 6,7 qui la plaçait très nettement en tête du classement, elle accorde désormais un moyen 5,3, au cœur du peloton. Soit une baisse de 1,4 point la plus forte enregistrée, et de loin.
Si la notation française n’a pas évolué depuis 2019 avec un égal 4,6, elle se retrouve cependant à la dernière place, là encore sans discussion possible, seul pays à se montrer plus pessimiste à ce sujet que l’année précédente.
En matière de situation personnelle, nous l’avons vu, les points de vue européens sont plus resserrés. Pour autant, une fois encore, l’Allemagne se distingue depuis 2019 avec la plus forte baisse de sa note (- 0,5 %).
INFLATION, LA FRANCE FAIT MIEUX QUE L’ALLEMAGNE
L’impression que les prix ont augmenté sur les 12 derniers mois ne les distingue pas particulièrement de leurs confrères européens, sauf sur un point concernant la France. Une fois n’est pas coutume, les Français sont les moins nombreux à juger que les prix ont nettement augmenté pendant l’année. Et une fois encore, la réalité rejoint l’impression. En 2024, les prix ont augmenté en France de seulement 2 % contre 4,9 % l’année précédente. En Allemagne, l’inflation s’établissait à 2,6 % pour 2024, avec les trois derniers mois marqués par une hausse supérieure à celle attendue.
POUVOIR D’ACHAT, DES POINTS DE VUE QUI CONVERGENT
En revanche, question pouvoir d’achat, les deux nations se placent dans le groupe de tête des pessimistes. La France occupe même la place de leader pour juger qu’il a baissé sur cette même période, alors qu’il a augmenté de 2,1 % en 2024. Mais si l’on se rapporte à 2019, l’évolution respective des points de vue est plus que marquée. Très peu d’Allemands constataient cette baisse, beaucoup de Français la dénonçaient (23 % et 59 %). Depuis, on compte 17 % en plus pour les premiers et 11 % en moins pour les seconds.
En Allemagne, le taux d’épargne est en évolution quasiment constante depuis plus de 10 ans, à part un léger décrochage en 2021 et 2022. De 16,5 % en 2012, il est passé à 19,9 % aujourd’hui. En France, il a connu une légère baisse entre 2012 et 2019, de 15,2 % à 14,2 %. Mais depuis trois ans, il augmente régulièrement pour atteindre désormais 17,4 %.
UNE FRILOSITÉ PLACÉE SOUS LE SCEAU DE L’ÉPARGNE
Les intentions d’épargne donnent une autre indication, l’une des plus précieuses, sur le doute et la morosité qui ont phagocyté progressivement ces deux pays. Certes, si l’on s’en tient au seul résultat de 2024, elles restent presque stables par rapport à 2023, à des niveaux relativement élevés en Allemagne. Mais depuis 2019, la croissance de ces intentions est la plus élevée de tout le baromètre (Allemagne + 12 points, France + 14 points). Et parallèlement, le désir de consommer s’estompe (- 4 points en Allemagne) ou augmente faiblement (+ 1 point en France). Des intentions confirmées par les chiffres réels de la consommation en 2024 : en léger recul en Allemagne, + 0,7 % en France).
Plus d’épargne, moins de consommation, égale des envies de dépenser en berne en Allemagne : – 10 points depuis 2019.