La Chine contre le reste du monde
L’ÉLECTRICITÉ PREND SES MARQUES… CHINOISES
Avec le passage à un univers en mode électrique, les automobilistes ne vont pas pouvoir s’appuyer de façon certaine sur leurs repères habituels et la confiance faite prioritairement aux marques historiques. La transition énergétique impacte le monde automobile comme nulle autre innovation auparavant. Ils ont face à eux un marché automobile contrasté et mouvant. Et ce n’est qu’un début.
Preuve éclatante de cette transformation, la croissance exponentielle du marché chinois
et de ses marques. En un peu plus de 20 ans, plus de 20 marques ont vu le jour (Fig. 35). Des marques qui pour la plupart développent des modèles électriques. Sans parler des marques déjà présentes sur le marché qui, à l’instar de MG et davantage encore BYD, pure premium électrique, entendent le bousculer et séduire les automobilistes avec des véhicules électriques low cost, un oxymore jusqu’alors, proposés à des prix comparables à ceux des véhicules thermiques.
Leur succès possible et probable inquiète les marques historiques et les pouvoirs publics au point de voir, par exemple, l’Union européenne engager le 13 septembre dernier une enquête visant à déterminer si les marques chinoises ne bénéficieraient pas de subventions publiques qui fausseraient la concurrence et leur permettraient de proposer des véhicules à des prix irrésistibles.
Le lancement de la première Tesla Model S remonte à 2012. Un pari fou d’Elon Musk, un pléonasme dans son cas, qui s’est transformé en réussite bien réelle. Un peu plus de 10 ans plus tard, la Tesla Model Y, SUV électrique, est devenu le véhicule particulier le plus vendu en Europe au premier semestre 2023, toutes catégories confondues, devant son opposé philosophique et technologique, la Dacia Sandero. Un succès qui doit beaucoup à une radicale baisse de son prix. La mobilité électrique semble attirante au point de séduire des nations totalement étrangères à la construction automobile. Ainsi, dans le cadre de son plan Vision 2030, l’Arabie Saoudite entend se lancer dans la fabrication de voitures électriques, notamment avec la création de la marque Ceer, avec Foxconn, et d’une co-entreprise l’associant à la start-up chinoise Human Horizons dont la marque HiPhi arrivera bientôt en Europe. Le fonds souverain saoudien Public Investment Fund a par ailleurs investi dans Tesla et Lucid dont il est actionnaire à hauteur de 61 %, cette dernière projetant de construire une usine dans le pays (Fig. 36).
UNE IMAGE ENCORE FRAGILE
Parmi toutes les composantes qui peuvent influer sur le succès d’une marque, son image en est l’une des principales. Et lorsqu’on interroge les automobilistes, il apparait clairement que ce n’est pas encore le qualificatif qu’ils associent naturellement aux marques chinoises.
À ce sujet, les Européennes jouissent d’une cote impressionnante, eu égard notamment à leur antériorité sur l’ensemble des marchés. 9 personnes sur 10 en ont une bonne opinion.
À ce niveau, les différences d’un pays à l’autre sont naturellement moins marquées, même si les Américains, les Chinois, les Japonais font preuve d’une certaine modération dans leurs louanges, concurrence industrielle oblige.
Face à ce quasi-plébiscite, les marques japonaises font plus que bonne figure avec 82 % d’opinions favorables. C’est naturellement au Japon mais aussi au Mexique, en Pologne et au Portugal que les automobilistes sont les plus enthousiastes. En Chine, logique géopolitique, les opinions favorables peinent à atteindre les 70 %.
Les marques américaines se classent en troisième position de ce classement avec un score de 73 %. Le nationalisme américain se manifeste avec 9 personnes sur 10 pour témoigner de cette approbation, chiffre aussi élevé dans le Mexique voisin, grand amateur de pick-ups et de berlines made USA. Cet enthousiasme est beaucoup plus tempéré chez deux autres pays voisins, l’Allemagne et l’Autriche, qui accordent un modeste 60 %.
Il nous faut traverser le Pacifique pour trouver le pays qui occupe la quatrième position, à savoir la Corée et ses 63 % d’opinions favorables. Les antagonismes locaux s’expriment très fortement puisque seulement 34 % des Japonais et 50 % des Chinois jugent les marques coréennes positivement. À l’inverse près de 8 personnes sur 10 au Mexique, en Pologne et au Portugal les apprécient.
Nous arrivons maintenant aux marques du premier pays constructeur mondial, la Chine, dont les performances dans le domaine électrique impressionnent, voire inquiètent. Avec un peu moins d’1 personne sur 2 pour en avoir une opinion favorable, on pourrait penser qu’il leur reste beaucoup de travail à faire en termes d’image et de reconnaissance. Un autre point de vue consiste à considérer que ce score est plutôt honorable pour des marques récentes, pas encore très présentes sur de nombreux marchés, qui ne bénéficient pas d’un bouche-à-oreille patrimonial positif et ancien.
Un score qui constitue une base solide pour se développer, eu égard notamment aux efforts déployés pour améliorer la qualité des modèles et répondre à la demande des clientèles occidentales. Sans surprise, l’adhésion est totale en Chine et le rejet consommé au Japon, avec des scores respectifs de 93 % et 18 %. Entre ces deux extrêmes, la plupart des pays européens affichent des résultats inférieurs à la moyenne globale, la mise en évidence d’une méfiance à l’égard des marques chinoises.
Notons que les jeunes et les hauts revenus ont une vision plus positive que la moyenne des marques, quelle que soit leur origine (Fig. 37).
L’ATOUT QUALITÉ-PRIX PEUT LEVER LES HÉSITATIONS
Outre son origine géographique, sur quoi repose la notoriété positive d’une marque ? Concernant les européennes, le quatuor qualité-esthétisme-sécurité-performances emporte l’adhésion. Il va de soi que ces qualités sont davantage soulignées en Europe. Le Japon ferme pudiquement les yeux sur l’ensemble de ces qualités, hormis leur esthétisme qu’il reconnaît.
Les marques japonaises sont logiquement les plus à même de s’attirer les suffrages des acheteurs du pays. Avec une fiabilité, une sécurité, des performances et aussi un meilleur rapport qualité/ prix reconnus (Fig. 38).
Sur ce dernier point essentiel – rappelons l’importance constamment accordée au prix dans l’achat d’une automobile – les marques coréennes et chinoises soutiennent la comparaison avec les japonaises. Concernant les marques chinoises, c’est de loin le critère le plus cité, leur atout majeur pour séduire les automobilistes alors qu’il leur reste beaucoup d’efforts à faire pour les convaincre de leurs performances, de leur esthétisme et de leur sécurité. Tous ces critères obtiennent moins de 20 % des suffrages.
En termes de rapport qualité-prix, les marques américaines obtiennent le plus faible résultat, les européennes n’étant pas loin, devancées par l’ensemble des marques asiatiques.
DES ENVIES D’ACHETER QUI RESTENT À CONCRÉTISER
Une fois identifiées la notoriété et les qualités des marques, la question essentielle réside dans le fait de savoir si les automobilistes sont prêts à les acheter. Les réponses ne bousculent pas l’ordre établi, leurs préférences se portant dans un ordre décroissant sur les mêmes marques. Une préférence est accordée aux marques européennes pour un peu plus de 8 personnes interrogées sur 10, les Japonais se montrant toujours fermement réfractaires à l’envisager (et de façon générale tout ce qui n’est pas estampillé « Japon »).
Viennent ensuite les marques japonaises, américaines et coréennes. Les marques chinoises continuent de fermer la marche, avec 4 personnes sur 10 prêtes à acheter un de leurs modèles. Un résultat à prendre en compte de deux façons. Soit un chiffre plutôt faible, soit un score plutôt encourageant si l’on considère la distribution parfois discrète de ces marques en-dehors de leur pays d’origine. Lorsqu’elles auront franchi les frontières, ce résultat risque de rapidement évoluer. Et les volumes que cela représentera seront déjà conséquents pour initier un effet d’entraînement plus difficile à contrer (Fig. 39).